Les Molières, le 30 octobre 2017
Madame Catalina Devantas-Aguilar,
Je vous écris pour vous dire ce que je ressens, par l’intermédiaire de mon Papa qui m’a expliqué votre rapport sur les droits des personnes handicapées en France.
Je n’ai pas tout compris car je suis une femme polyhandicapée. J’ai surtout ressenti l’inquiétude voire la colère de mes parents quand ils sont venus me voir. Dans mon cas, c’est un gène qui a muté et ne fonctionne pas normalement. Je viens d’avoir trente-trois ans et mon corps ne m’obéit pas bien. Je peux bouger, me tourner, lever un peu les bras et les jambes quand les personnes qui s’occupent de moi viennent m’habiller. Mais mes mains ne peuvent rien faire et je ne peux pas marcher seule, ne peux pas parler, ne peux pas manger, me laver, me déplacer sans aide. Mais je suis très sensible, très affectueuse, je sais sourire, rire, regarder au fond des yeux des gens qui m’aiment. J’adore écouter de la musique, de la poésie, regarder des livres, partager de bons moments, des sourires, des rires avec mes amis et ma famille.
Je sais taper aussi lorsque je ne suis pas contente, lorsque l’on ne s’occupe pas assez de moi, ou que l’on prend pour moi de mauvaises décisions. Heureusement Maman et Papa sont toujours là pour veiller sur moi, me soigner, me réconforter, m’aimer. Et le personnel de la MAS où je vis me connaît, est très gentil et prend soin de moi au quotidien, de jour et de nuit. La MAS, c’est ma maison, j’y ai mes repères et c’est pareil pour mes amis.
Vous dites dans votre rapport que nous sommes isolés dans nos établissements mais c’est faux, je ne me sens jamais seule dans ma MAS : je suis avec mes amis, avec des professionnels qui s’occupent de nous. Je sors plusieurs fois par semaine, soit pour des activités, soit pour faire des courses, aller chez la coiffeuse, ou le weekend avec ma famille. On fait des balades en ville ou à la campagne. Tous les mercredis, il y a une activité créativité à la MAS avec un peintre très dévoué. Nos œuvres sont exposées ensuite en ville ou à la MAS où il y a à chaque fois un vernissage. Beaucoup de personnes nous rendent visite : des artistes, le Maire du village, et nous aurions été contents de vous recevoir si vous aviez pris le temps de venir nous voir.
J’ai compris que vous vouliez que cette MAS où je vis soit fermée, comme tous les établissements de France où vivent les personnes comme moi et je n’ai pas compris pourquoi. Croyez-vous que je pourrais vivre seule ? Ou chez mes parents qui vieillissent : je sens bien que Papa a plus de mal à me porter maintenant, et Maman n’y arrive plus. Ils ont aussi à s’occuper de mes grands-parents. Et quand ils ne seront plus là, comment je vais faire si je ne suis plus à la MAS ? Cela a été tellement difficile d’obtenir une place dans cette institution où je trouve de la joie de vivre malgré mes handicaps. Pourquoi devrions-nous souffrir encore pour être en accord avec un texte que je ne connais pas mais qui semble très important pour vous ? Les diplomates qui l’ont signé connaissaient-il le monde des personnes comme moi, polyhandicapées ? Et vous, que savez-vous de nous ? Vous avez visité des établissements en France mais aucun accueillant des adultes polyhandicapés ; comment pouvez-vous savoir ce qui est bon pour nous sans nous connaître ?
Vous savez, tous les changements sont très difficiles pour moi : le lieu de vie, ma chambre, mon lit, l’AMP qui s’occupe de moi, l’infirmière qui me soigne ; toutes les modifications me demandent un énorme effort pour m’adapter, chasser l’angoisse, garder mon sourire.
Quand je suis gaie, je chantonne. Quand je suis triste, je pleure ou je crie et aujourd’hui je suis triste car je comprends que vous les spécialistes, les hommes et femmes politiques, vous n’avez rien compris à notre monde des polyhandicapés, à notre vie, à nos besoins : il faut nous respecter et nous aimer ! Vous dites vouloir nous inclure dans la société, nous donner les mêmes droits qu’aux autres personnes, c’est bien, c’est beau mais est-ce réaliste ? Avoir le droit de vote n’est pas mon souci. Est-ce en supprimant nos lieux de vie longuement réfléchis et adaptés à nos besoins que vous améliorerez notre sort ? Coûtons-nous trop cher à l’Etat français ? Est-ce cela la vraie raison ?
C’est sûr, je n’ai rien compris à ce rapport qui parle de moi sans que rien ne m’ait été demandé, sans que mes parents n’aient pu vous dire ce dont ils ont besoin pour rester proches de moi comme ils le font. Ne décidez pas de ce qui est bien pour moi sans moi, sans mes parents qui ont toujours été là. Ils savent rester avec moi le temps qu’il faut pour comprendre ce que je vis, ce que j’attends…Je me fie à eux, ils me connaissent et m’aiment, ils voient bien que ce n’est pas votre cas.
Floriane Lorin
Madame la Rapporteur des Nations-Unies,
Ayant pris connaissance des propos que vous avez tenus concernant la situation des personnes handicapées en France, j’ai fait part à ma fille polyhandicapée Floriane de ce que j’ai lu dans la presse sur la désinstitutionalisation encouragée !?
Son écoute et son attention nous impressionnent toujours, ma femme et moi, quand on lui parle d’elle, de sa situation, de nous.
Aussi, voici ci-dessus, le message que nous sommes persuadés de pouvoir signer de son nom que je me suis autorisé à vous communiquer par voie postale et électronique.
Je vous en souhaite une bonne réception et je vous prie d’agréer, Madame la Rapporteur des Nations-Unies, l’expression de ma respectueuse considération.
Thierry LORIN
Président de l’Association Les Tout-Petits